La fin du 19ème siècle a été marqué par le développement des premiers plastiques artificiels et synthétiques. Ainsi, plusieurs plastiques artificiels ont été réalisés à partir de ressources naturelles : la parkésine (1862), le celluloïd (1870) puis l’acétate de cellulose (1865) à partir de la cellulose ; ainsi que la galalithe (1897) obtenue à partir de la caséine du lait. Les trois premiers composés ont ainsi été synthétisés à partir de cellulose ayant subi une réaction d’estérification soit par de l’acide nitrique – dans le cas de la parkésine et du celluloïd –, soit par de l’acide acétique. L’emploi d’un solvant organique et d’un plastifiant permet par la suite la formation de ces plastiques artificiels.
Hormis la parkésine qui ne connait pas de réel débouché commercial, le celluloïd est notamment employé dans les domaines de la photographie et de la cinématographie pour être ensuite remplacé par l’acétate de cellulose qui est bien moins inflammable que lui. Quant à la galalithe qui est obtenue via le traitement de la caséine par du formol, celle-ci a été très utilisée pour la réalisation de petits objets comme des boutons par exemple.
La synthèse de la première matière plastique entièrement synthétique a été maitrisée en 1907 par Léo Baekeland, chimiste belgo-américain. S’il avait été montré deux décennies plus tôt que des résines phénol-formol douées d’une grande résistance pouvaient être obtenues, celles-ci étaient considérées par les chimistes à la fin du 19ème siècle, y voyant des substituts secondaires. La bakélite, nouveau plastique constitué par ce type de résine, est généralement obtenue à partir du gaz de coke et de la distillation de la houille : le premier permet d’obtenir le formol et la seconde le phénol. Plus largement, la bakélite fait partie de la famille des phénoplastes étant donné qu’elle est issue d’une résine formol-phénol. La polycondensation de ces composés donne une résine liquide, celle-ci étant polymérisée par chauffage une première fois ce qui permet son moulage et son durcissement. Une résine durcie est finalement obtenue et au cours du procédé des additifs (charges, lubrifiants, colorants) peuvent être introduites pour moduler les propriétés du plastique.
Les macromolécules selon Staudinger
Néanmoins, ces découvertes autour de tels nouveaux matériaux ont été réalisées sans une véritable connaissance de leur nature chimique, tant sur le type de liaisons chimiques mise en jeu que sur la façon dont celles-ci influent sur leurs propriétés. En effet, au début du 20ème siècle, les résines et autres matières visqueuses du même acabit sont considérées comme des substances colloïdales formées de micelles. Autrement dit, elles sont perçues comme étant un agglomérat de molécules dont l’association à l’échelle microscopique n’est pas assurée par des liaisons covalentes. Pourtant, cette théorie micellaire n’apporte que très peu d’informations quant à la structure moléculaire réelle des polymères, et surtout elle ne permet pas de justifier les propriétés particulières observées par les chimistes.
Le chimiste allemand Hermann Staudinger est le premier à procéder à la rationalisation effective des polymères : en s’appuyant sur les travaux d’August Kékulé sur la valence, il introduit le concept de « macromolécules » en 1922. Ces macromolécules sont constituées d’un motif unitaire, à savoir une molécule de base – par exemple l’isoprène – qui est répétée au sein de la molécule et dont les liaisons mises en jeu sont de nature covalente. Au travers de l’hydrogénation du caoutchouc, Staudinger a en effet montré que l’on obtient une substance colloïdale soluble, et non pas une substance volatile, ce qui lui a permis d’infirmer la théorie des micelles. Par la suite, l’étude de polymères analogues – comme la cellulose et ses dérivés – pendant la décennie suivante permet d’appuyer les conclusions établies, en montrant que de telles macromolécules sont de structures identiques mais de masse moléculaire différentes.
Ainsi, pour ce qui est des propriétés des macromolécules, y compris celles des plastiques, elles varient selon leur taille, et il est possible de les moduler en jouant notamment sur la nature de monomère initial, sur la longueur et la ramification des chaines. Ici, les propriétés propres à la molécule qui joue le rôle de motif unitaire ne permet donc pas de prédire celle de l’ensemble macromoléculaire qu’elle constitue.
On distingue entre autres deux grandes classes de résines plastiques : celles dites thermodurcissables, et celles dites thermoplastiques. Les premières sont obtenues par la polycondensation et la polymérisation de molécules complexes ; leur polymérisation suite à un moulage est notamment irréversible. En revanche, les secondes sont issues de la polymérisation de molécules simples, et si comme les thermodurcissables elles subissent un ramollissement sous l’effet de chaleur, elles restent modelables après le refroidissement de la résine polymérisée.
L’émergence d’une industrie des plastiques
Ces découvertes citées plus haut, tout comme l’instauration progressive d’une nouvelle culture chimique, trouvent leurs applications au travers d’une nouvelle industrie spécifique aux plastiques. Du milieu des années 1920 jusqu’au début de la Seconde Guerre Mondiale, les Etats-Unis et l’Allemagne sont clairement en pointe aussi bien en termes de recherches académique et de développement industriel des plastiques.
Ces dernières s’appuient clairement sur la théorie de Staudinger qui a permis une meilleure compréhension des polymères, donc la possibilité d’une rationalisation des procédés de production de plastiques existants comme nouveaux. En particulier, l’entreprise Du Pont de Nemours est l’acteur majeur aux Etats-Unis, et l’Allemagne est clairement en pointe grâce l’IG Farben, groupe issu de la fusion de nombreuses entreprises chimiques allemandes. Elles se posent également dans la continuité de l’industrie de la chimie organique dont la finalité est la synthèse à grande échelle de composés organiques plus ou moins complexes. Et dès ses débuts, cette industrie des plastiques a recours aux produits des industries de la houille pour rendre possible la fabrication d’une large gamme de matériaux plastiques.
Si on rencontre toujours les phénoplastes, aminoplastes et glycéroplastes évoqués précédemment, dont de nouveaux dérivés sont produits et commercialisés, les premiers plastiques synthétiques à proprement parler font leur apparition. Leur développement est notamment favorisé par un contexte économique de crise majeure vers la fin des années 1920, et les volontés respectives des Etats-Unis et de l’Allemagne d’assurer leur indépendance en ce qui concerne l’industrie chimique et les voies d’approvisionnement. Qui plus est, les plastiques synthétiques permettent de remplacer à bas coût des productions classiques et peuvent être écoulées en grande quantités, d’où la qualification d’ersatz pour ceux-ci. Ainsi, l’entre-deux guerres est caractérisée par la découverte de plastiques synthétiques nouveaux, tels que les polymères vinyliques dont le polychlorure de vinyle (PVC), les polymères métacryliques dont le méthacrylate de méthyle (Plexiglas), ainsi que les polyamides évoqués précédemment.
Une nouvelle culture chimique
Outre-Atlantique, l’industrie chimique est marquée par l’émergence de la nouvelle culture du génie chimique qui mobilise des « savoirs fondamentaux au service de procédés de production efficaces », tendant ainsi à effacer les frontières entre recherches appliquée et fondamentale. Ainsi, la culture de l’atelier caractéristique du début du 20ème siècle, profondément empirique et sans connaissances approfondies, est progressivement abandonnée. Le projet de recherche sur le nylon porté par l’entreprise américaine Du Pont de Nemours en est l’illustration phare, celui-ci étant animé par le chimiste Wallace Carothers. Ce dernier, acquis à la théorie de Staudinger sur les macromolécules, apporte à l’industrie des polymères des fondements scientifiques formalisés, et donc plus solides.
Dans un premier temps, l’objectif initial de Carothers est d’ordre fondamental puisqu’il cherche à développer des polymères qui appuient la théorie de Staudinger et à déterminer la nature de leurs liaisons moléculaires. Plus largement, Du Pont explore avec ses secteurs – colloïdes, catalyse, chimie organique – les domaines de la chimie peu ou pas étudiés par les universités américaines. Cela finit par déboucher au développement de deux polymères prometteurs, à savoir le néoprène et le nylon – ce dernier étant mis au point par Julian Hill, l’assistant de Wallace Carothers. Ces découvertes vont amener Du Pont à se limiter dès 1930 à leurs développements industriels et commerciaux ; pour autant ces derniers ont loin d’avoir été linéaires, avec des réticences des chimistes et de nombreuses hésitations sur la combinaison du nylon. La combinaison polyamide devint exploitable en Février 1935 : c’est le fameux polymère 6-6 caractérisé par son élasticité et sa résistance.
Cela a été rendu possible en partie grâce à la mobilisation des savoir-faire chimiques académiques, tout comme ceux plus techniques des différents départements de Du Pont, notamment ceux d’ammoniac et d’ingénierie. Avec le nylon, l’entreprise devient le « lieu de la réorganisation du savoir » : la chimie des hautes pressions a trouvé un débouché payant, les savoirs académiques ont été renforcés, et plus largement c’est un capital scientifique et technique qui a émergé à partir de savoirs et savoir-faire différents. Si la découverte du nylon a un écho limité en France au cours des années 1920-1930, nous verrons dans un prochain article qu’une telle culture sera une source d’inspiration pour les tentatives de réorganisation de la recherche française sur les plastiques au tournant des années 40, notamment à partir de Libération.








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