Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences et des techniques à l’EHESS tenait une conférence, fin 2022 à Poitiers, autour de l’énergie, son thème de recherche de prédilection, dans le cadre des Amphis du savoir organisés par l’Espace Mendès-France. L’occasion pour lui de présenter les grandes lignes de son nouveau livre à paraître l’année suivante. Récit.
Questionner les récits : tel est le sens du propos d’introduction liminaire de Jean-Baptiste Fressoz. Pour lui, il s’agit avant tout de questionner comment l’idée de « transition » s’est imposée face au changement climatique, comme un « futur des gens raisonnables », citant notamment le rapport du groupe 3 du GIEC. Rapport qui n’inclue aucun scénario de décroissance. À ses yeux, cette idée de transition est un futur qui s’inscrit dans une histoire des techniques problématiques : en effet, il n’y a jamais eu d’énergies en transition. Au contraire, ce sont plutôt des énergies qui s’accumulent les unes aux autres que l’on constate. Pour appuyer son propos, il insiste notamment sur la consommation énergétique qui a doublé en 40 ans selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), avec des énergies stables. Plus largement, Jean-Baptiste Fressoz conteste les grandes fresques portés par les livres phares sur l’énergie, dont le genre dominant est le récit transitionniste. Au-delà de ça, c’est une autre histoire de la Révolution industrielle qu’il nous propose. Avec l’explosion des énergies renouvelables comme l’éolien et l’hydraulique à cette époque, ou encore la force humaine, citant inexistence d’engins de ravalement avec 1930.
Une histoire de symbioses entre énergies
Le récit dominant tend à opposer les différentes énergies. Jean-Baptiste Fressoz tient à nous montrer que l’histoire est beaucoup plus compliquée. Plus encore, il nous fait constater que les énergies sont dans un rapport d’entraide, de symbiose. Il prend notamment l’exemple du charbon extrait dans les mines : cela s’appuyait sur une quantité significative de fois consommée, avec 4,5 millions de tonnes de bois utilisées au 19ème siècle en Grande-Bretagne. Principalement du bois d’œuvre qui demande une surface importante. Ainsi, bois et charbon sont fortement liés, et cela a été également le cas dans d’autres pays industrialisés, comme les USA, l’URSS, la Chine ou encore en Europe. Il relate en outre le cas des chemins de fer, qui consomment bien plus de bois que de fer, et que l’on pourrait à ce titre renommer « chemin de bois ». Dans ce cas précis, capitalismes ferroviaire et sylvicole sont très liés, avec par exemple la mise en place de grands deals comme au 19ème siècle avec la North Western qui vend des milliers d’hectares à des industriels ferroviaires.
L’autre couple qu’il présente est celui du bois et du pétrole. Ainsi, le bois a été nécessaire dès le 19ème siècle pour l’extraction du pétrole, avec le marché des tonneaux qui explose littéralement à cette époque. C’est une véritable intrication, et le pétrole amène l’augmentation de la consommation en bois. Cela passe notamment par la réalisation de tubes en acier, dont la fabrication requiert des quantités importantes de charbon de bois. Pour revenir à notre époque, l’entreprise sidérurgique Vallourec a notamment racheté une entreprise de production de charbon de bois, en vue de produire l’acier tant nécessaire. Également, c’est le bois-énergie qui augmente en premier lieu chez les pays pauvres comme au Congo, pour la cuisson des aliments, en s’appuyant sur le pétrole. Ce même bois-énergie se retrouve dans les pays industrialisés avec l’utilisation de lignine issue du bois pour la production d’énergie. Il prend également l’exemple de la centrale électrique anglaise de Drax qui a été convertie à la biomasse, dans un pays qui emploie désormais plus de bois qu’au 19ème siècle.
Une généalogie de la transition énergétique
Mais alors, d’où vient cette notion de transition énergétique ? Au tout début, il s’agit d’un discours purement autopromotionnel des industriels vers la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle, que les géologues réfutent. Ensuite, ce sont les savants atomistes de gauche, effrayés par les conséquences de l’arme atomique en 1945, qui reprennent ce terme de la physique quantique. L’énergie atomique est alors vue comme permettant de résoudre des problèmes démographiques. Il s’agit également d’une futurologie purement défensive, face au charbon. Quant à la notion de crise énergétique, elle est distillée par le lobby atomistes peu avant les années 1970 face aux écologistes et auxquels ils imputent les black-outs aux USA. Newsweek va même jusqu’à publier une publicité en 1972 annonçant l’extinction du charbon.
À partir du choc pétrolier de 1973, cette futurologie devient victorieuse. On peut notamment citer le fameux discours de Jimmy Carter, président des USA, tenu en 1977 pendant lequel il donne en quelque sorte un cours d’histoire dans les faits erroné, et où il met en relatif le bois avec les autres énergies.
Les prédictions du GIEC d’aujourd’hui ne seraient certainement pas possiblement sans un institut, l’IIASA, l’Institut International pour l’Analyse des Systèmes Appliqués, fondé en 1972 et notamment dirigé par Cesare Marchetti. L’IIASA a établi un moment important sur la façon dont on pense les futurs énergétiques, y compris aujourd’hui. Néanmoins, Marchetti était très critique des modèles de transition en douceur, estimant que le système énergétique mondial est très peu contrôlable selon lui. C’est de lui que viennent notamment les courbes logistiques, que Carter avait reprises pour parler de transitions. Néanmoins, Marchetti restait un futurologue plutôt pessimiste. Néanmoins, la transition en 50 ans de l’IIASA a été peu discutée. Pis, selon Hansen et David, la transition aurait eu lieu avant la catastrophe écologique.
Pour conclure, Jean-Baptiste Fressoz estime qu’il y a un point essentiel à souligner : la notion de transition est une forme beaucoup plus astucieuse de déni climatique, comparé au climatoscepticisme qui montre de réelles limites. L’occasion de se poser collectivement la question suivante : est-il encore justifié de parler de transition face au changement climatique ?







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